mardi 7 février 2012

H-Alf


Parce que toutes les belles histoires ont un beau début, laissez-moi vous conter ma rencontre avec Nono de Gandalf.
Nono de Gandalf a des plaisirs simples. Tel que bruler des fourmis avec une loupe, raser la tête des adorateurs de Michel Sardou ou uriner sur le cadavre de ses ennemis après les avoir balancés dans la rivière.
C'est lors de cette dernière occasion que je fis sa connaissance. Je vous la retranscris tel que je m'en souviens :

Alors que j'étais en train de lire du Chateaubriand sur les berges de la Vienne, tout en appréciant la couleur des lumières clignotantes de l'autre côté de la rivière et en me délectant de l'orchestre qui jouait dans une guinguette toute proche, je vis un cul.
Un cul ferme, ni trop gros ni trop maigre, à la pilosité rare, le tout rosé par l'air frais de la soirée qui s'installe.

Ce cul est desservi par un pantalon en velours de facture honnête, et surmonté par ce qui m'apparait être le costume d'un gentilhomme de la bonne société.
« Que d'embarras, que d'embarras... » entends-je le propriétaire du fessier mentionné plus tôt alors qu'il se donne toute la peine possible pour se déplacer le long de la berge.

Tiré de ma délectation de l'instant par cette vision charnelle et virile, je décide d'interrompre ma lecture pour suivre le manège du sujet qui me tourne impoliment le dos. 
Au bruit de mon livre se refermant, l'homme possesseur de la paire s'arrête. 
Il se raidit. 
Je devine ses bras s'agiter frénétiquement, et pourtant il reste interdit. 
Aurait-il pété, j'aurai envisagé l'hypothèse qu'il essaye de me signifier le non-intérêt de ma présence en me proposant de me chier dessus.
Mais notre gentilhomme n'en fit rien.

« Que d'embarras... » répéta-t-il tout en remontant son falzar sur la face de sa lune qui ne m'est donc plus caché.
« Voyons cher monsieur, lui réponds-je, sans connaître vos habitudes et votre obédience charnelle, je devine qu'un esthète de votre trempe a eu aussi son lot de mont de Vénus à admirer. »
« Moi ? Un esthète ? » demande t-il, piqué au vif, mais toujours en me tournant le dos, hésitant peut être sur ma sexualité.
« Très certainement, lui confirme-je, je vois là en face de moi un homme communiant avec la nature en un temps propice à son appréciation. »

L'homme part d'un rire éclatant qui caractérise l'amateur de bonne chair et de mauvaise vie. Il se retourne. Et je découvre donc le visage sympathique, au sourire franc, encadré par des favoris de fort belle épaisseur, de mon compagnon de berge.

« Le crépuscule est en effet une heure adaptée pour les travaux qui sont les miens. » me dit-il, tout en sortant une pipe de sa poche qu'il commence à bourrer consciencieusement.
« Puis-je ? » demande t-il en désignant l'espace à ma droite du bout de sa fournaise portable.
« Je vous en prie » réponds-je en tirant un cigare de mon étui.
L'homme s'assoit. Je remarque alors la masse flottante qui continue a descendre tranquillement la rivière.
« Êtes-vous un contrebandier qui profite de la baisse d'activité sur les ponts pour laisser flotter des paquets à destination de quelque complice en aval de la rivière ? » lui demande-je en désignant la masse d'ébène qui disparaît peu à peu au loin, son activité crépusculaire me paraissant une bonne manière d'entamer la discussion que nous allons avoir le temps de notre fumette.
« Du tout, du tout. » me retorque-t'il en allumant sa pipe. « Ce que vous observez est le corps d'un malheureux receleur d'herbes d'appartement qui a fait une affaire pire que celle qu'il me proposait. » me précise t-il avant d'attiser le fourneau de l'enfer calé entre ses dents.
« Êtes vous alors une sorte de bourreau qui règle les affaires de ses amis de la bonne société ? » hypothèse-je, piqué de curiosité par l'audace et les manières antireligieuses de mon camarade.
« Occasionnellement je puis exercer cette activité, mais elle n'est point ma préférée. » m'explique t-il « Car voyez-vous cher ami, oui j'ai l'audace de vous appeller cher ami car je vous aime déjà beaucoup, outre celui de déshonorer mes victimes après leur mort, je ne peux me permettre aucun plaisir précédant à leur trépas, ce qui me prive donc de beaucoup de joie à la tache. »

Je savais que l'homme ne pouvait être un mauvais bougre. Un tel mépris pour l'humanité ne peut cacher qu'un être intelligent.
« Vous m'en voyez fort aise » lui dis-je en lui offrant ma main ganté dans la position sociale du salut introductif entre étrangers polis. Il accepte mon invitation gestuelle et m'en sert cinq fermement.
« J'ai pour nom Nono de Gandalf » s'introduit-il « Mais mes bons amis m'appellent Nonalf et je vous autorise donc à m'appeler ainsi si toutefois ma compagnie ne vous effraie point. »
« C'est avec le plus grand honneur que j'accepte de vous renommer comme vous le souhaitez. » lui réponds-je « Quant à moi j'ai pour nom Derpa Steack, mais seul une rare minorité de privilégiés m'appelle Pastèque, ce que je vous enjoins à faire. »
« Ce sera de même avec le plus grand honneur que je vous nommerai ainsi. » me dit-il « Cette terre est remplie de gens trop étriqués refusant tout contact avec l'inconnu. J'ai remarqué une noce se dirigeant vers la guinguette en amont alors que je venais décharger notre ami flottant. L'avez vous vu ? »
J'opine du chef comme le ferait un homme de ce rang.
« J'ai observé leur cortège marital. » poursuit-il « Un grand dadais venant d'épouser une secrétaire. Des parents gros et gras comme des notables trop bien nourris. Des enfants intenables courant les uns entre les autres lors de jeux de touche-pipi vaguement honnête. Des amis ruminant entre eux leur jalousie et qui n'attendent que le vin d'honneur pour se sauter entre eux... »

Il s'arrête. 
Il pense. 
Je l'entends déglutir son dégout.
« Des gens d'aujourd'hui, qui vivent comme aujourd'hui. » remarque-je.
« EXACTEMENT ! » hurle-t-il. « Il n'y a pas encore si longtemps, du temps de nos pères et de nos grands pères, nous avions de vrais beaux banquets ou les mariés donnaient de leur bonheur pour qu'il soit partagé par tous. Les parents ne faisaient pas la fine bouche en se demandant combien de temps ça va durer avant de devoir remettre le costume avec le pantalon ou la jupe qui serre le ventre. »
Je continue : « Et les enfants n'étaient pas des morveux gâtés aptes à profiter de chaque distraction et les amis n'étaient pas des égoïstes intéressés par leurs propres besoins sexuels. »
« Oui, vous avez raison. » dit-il en me regardant « C'est exactement ce dont je parle, notre société a fait changer les gens plus vite en 30 ans qu'en un siècle. »
J'opine à nouveau. « Si je puis me permettre mon cher Nonalf, » commence-je « il me semble que
tout dans notre société a été fait pour détruire ça et le remplacer par cette morosité, cette élitisme, et cet égoïsme putride dont nos dirigeants sont les meilleurs exemples. »
« Si fait » me retorque-t-il « et tout cela au nom de quoi ? Du consumérisme ? De la loi du plus fort ? De l'audimat ? »
Il s'arrête et entreprend de vider sa pipe. 

Alors que je jette mon cigare dans la rivière, il reprend :
« Voyez vous cher ami, nous arrivons à un point critique de notre époque. Les gens ne cessent de devenir pire de jour en jour. Parce que c'est mieux. Parce que c'est plus confortable pour eux d'être pire. Parce que tout le monde le devient et qu'il faut être comme tout le monde. Vous vous rendez compte ? C'est devenu bien d'être pire. Vous pouvez accepter ça vous ? »
Je sors alors ma montre, consulte l'heure et tourne la tête vers la guinguette.
Au loin, un nuage de feu s'en échappe. 
Les murs s'effondrent sur eux mêmes. 
Un bruit assourdissant retentit.
 Des cris strident résonnent. 
La guinguette vient d'exploser.

« Ainsi donc, l'engin explosif que j'ai trouvé en allant percer les conduites de gaz vous appartenait ? » me questionne-t-il.
Je ne réponds point, me contentant de me relever et d’épousseter mon vêtement. Il sourit, puis refourre sa pipe.
« C'est inacceptable. Pour vous comme pour moi. » explique-je. « Nos pères et nos grand-pères se sont battus pour nous transmettre des valeurs. Il est temps de le rappeler à certains. »
Nonalf me dit-alors : « Cher ami, je vois que nous empruntons la même route pour aller vers le chaos... »
« Ce n'est qu'un arrêt sur l'autoroute de l'enfer. » répondis-je. 
Et nous marchâmes ensemble vers le futur.

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