lundi 19 mars 2012

Maude, donc


23H.

A l'intérieur du restaurant italien, je savourai ma coupe de fruits, ainsi que l'air de la mandoline, lorsque Nonalf posa son séant sur la chaise devant moi.
« Grands Dieux, le pouvoir allégeant du pipi m'étonnera toujours » dit-il en se resservant un verre de vin pour remplir le bocal à présent vide.
« Nous sommes à table. » lui signifiai-je en espérant qu'il arrêtera ses allusions urinaires.
« Sans déconner. » me répond-il d'un ton de reproche, « As-tu cru que j'allais pisser dans la cruche ? Pour qui me prends tu ? Pour un vil gâcheur de vin ?»
Moi : « Plutôt pour un gros sale qui ne s'est pas lavé les mains après sa miction impossible. »
Nonalf : « Voyons cher ami, si je me lave les mains, comment vais-je pouvoir me charger en phéromones qui m'aideront à attirer la gent féminine ? »
Moi : « Je croyais que tu utilisais des sucettes à l'anis ? »
Nonalf : « Tu dis n'importe quoi. Les sucettes à l'anis sont pour les petites filles. A l'inverse, les grandes filles s'attrapent avec des succions à l'anus. »

Je repose ma cuillère dans la coupe qui m'apparait alors pleine de dégout et de dépit.
A moins que ce ne soit moi.
Je tourne alors la tête pour essayer de me distraire des visions d'horreur qui s'installent en mon esprit.
A cette heure, le repaire de la mafia italienne de Limoges est calme. Don Filipo fait causette à un couple de notables qui cherche à s'encanailler. J'entends Don Guido s'activer en cuisine pour pouvoir fermer l'établissement.
Il ne reste plus que nous, le couple, et une jeune femme que j'aperçois alors dans un coin juste devant le bar.
Brune. La peau laiteuse. Un petit nez retroussé sous de grands yeux clairs. Mince, enfermée dans une robe noire du plus beau deuil.
Elle déguste lentement une mousse au chocolat. Ses longs doigts tiennent une cuillère du bout de la tige.
Je la vois faire le tour de la coupe avec sa cuillère en raclant les bords pour ne laisser aucune trace au sein du contenant de l'objet de son attention.
Lorsqu'elle estime avoir assez de matière chocolatée, elle porte alors l'objet de son désir à sa bouche, entrouvre doucement les lèvres, y dépose la boule de cacao, puis joue avec la cuillère prisonnière de ses dents dans un mouvement de langue appliqué avec dévotion.

C'est à ce moment précis que la belle, se sentant surement épiée, tourne la tête dans notre direction.
Lorsque le contact visuel s'opère entre elle et moi, la voilà qui retire prestement la cuillère en argent, telle une petite fille prise en faute avec une douceur interdite.
Je reste alors prostré dans ma posture de voyeur anonyme, tout en cherchant en mon esprit la formule adaptée pour lui signifier que mon coup d'œil scrutateur est un hommage à sa beauté et non une évaluation à visée lubrique digne de Stanley.
Elle me répond alors d'un sourire qui laisse découvrir des dents carnassières maculées de mousse d'ébène.
De l'autre côté de mon crâne, le bruit d'une chaise renversée m'indique que mon collaborateur culinaire vient de se lever. Inutile de tourner la tête pour confirmer cette impression, puisque la bête véloce est déjà dans mon champ de vision, face à la beauté gourmande.
Pas d'invitations, pas de préliminaires, il attrape une chaise et s'y assoit à califourchon, tel un flic des années 80 prêt à cuisiner une suspecte de l'autre côté de son bureau.
Je me lève prestement, sentant le vent du duel souffler sur l'établissement. Une balle de foin aurait pu traverser l'allée, que je ne m'en serai pas ému.
Je me cale donc a côté de mon compère. Bien entendu je ne suis pas naïf au point de penser que ma présence l'empêchera de dire les pires immondices à cette jeune femme.

Il prend alors sa main libre, et lui déclame « Mes respects belle inconnue.»
Mon dieu, qu'est ce que cette innocente créature a fait pour mériter ça ? Si il commence par les respects, alors peut être qu'elle sera inconsciente avant de subir les derniers outrages que l'esprit sadique de mon ami peut lui réserver.
Elle le regarde. Entrouvre la bouche. Alors que mon camarade et moi sommes prêts à nous délecter de chaque octave de la voix, que nous supposons enchanteresse, de la superbe elle lui dit :
« hé mec tes toujour oci chiant ken tu parle ? »

Mon acolyte m'adresse alors un regard d'incompréhension teinté de peur.
Se peut-il que la divine créature qui nous fait face ait le cerveau aussi malaxé que son dessert chocolaté ?
« Milles excuses gente damoiselle, vous êtes ? » demande t-il avec l'espoir vain de ne pas s'être trompé sur le compte de son interlocutrice.
« Temerde pas avek mwa. Cose normal. »
Nouveau regard entre lui et moi. Si il eut jamais un fond de pitié pour la bougresse, il est mort tel le sentiment d'émerveillement d'un enfant qui découvre un jouet moche au sein d'une pochette surprise de supermarché.
Il lâche alors la main de la belle, croise les siennes, puis prend une profonde inspiration de courage.
Nonalf : « Ton nom. »
Inconnue : « Maude »
Nonalf : « T'es majeure ? »
Maude : « ta l'air kool, tu peux m'appeler maumau. »

Les informations nécessaires ayant été récupérées, je profite du moment de flottement pour aller récupérer nos verres d'alcool à notre table. Je sens qu'une bonne dose de courage version chevaliers de la table ronde du château piquette ne sera pas de trop.
J'observe alors la scène avec un peu de recul. Le guerrier rital qui me fait office de compère d'agape va t-il tenter de déchirer le paquet cadeau empoisonné qui lui fait face ?
Je me rapproche pour observer la suite du match.

Nonalf : « On va pas y aller par quatre chemins, t'as un mec ? »
Maumau : « Nan »
Moi : « Sans deconner... »
Nonalf : «Sure ? Pas de fiancée largué récemment ou de pote de baise dans le placard ? »
Maumau : « Tinquiète y'a plein 2 place dent mon placard. Pour ton paute oci. »
Moi : « Je passe mon tour. »
Nonalf « Voyons Pastèque, je suis sur que nous pouvons nous entendre... »
Moi : « Tu n'es pas mon genre. »
Nonalf « Je sais putain, je parle pas de toi fruit pourri, je parle d'elle. On va peut être trouver du bon. T'aime quoi comme musique beauté ? »
Maumau : « Tout. Jai dé gouts assez électriques tu voi... »
Nonalf : « Ha donc la techno, la trance, la jungle amazonienne, toutes ces musiques électroniques... »
Maumau : « nan j'aime dé trucs différan tu voi... »

Silence. Le temps d'analyser la situation, l'horrible vérité me saute à la face tel un bébé alien.
« Elle voulait dire éclectique... » dis-je alors dans un souffle. Nonalf lève la main, comme pour m'empêcher de briser le rêve en lequel il veut encore croire.
Un coup d'œil supplémentaire entre nos virilités s'opère.
Mon acolyte retire ses lunettes et prend son inspiration.
Nonalf : « Tu sais ma Pastèque, parfois j'essaie. Je me dis qu'il y'a un fond de bon en chaque être humain. Qu'il faut juste le secouer tel la pulpe au fond de la bouteille de boisson aux arômes naturels d'orange, et qu'une fois renversée, tout cette pulpe qui donne le goût à la personne, à la vie même dirais-je, puisse redonner une lueur d'espoir aux déçus de la vie que nous sommes. »
Une larme vient de se former au coin de mon oeil droit.
Un ange passe. Maumau le descend tel une chasseuse expérimentée :
« Bon les gros jvais retrouver mes bestas au club, yaura ce qu'il faut. Vous venez ? »

L'indécente propose.
Pendant que mon compère rassemble, soit ses esprits, soit le peu de foi en le genre humain qu'il peut lui rester, je cherche au fond du marc de pinard qui stagne au fond de mon verre si j'aurai la force de supporter cette comédie dramatique plus longtemps.

Mon acolyte se lève. D'un revers de manche, il balaie l'argenterie et se met à hurler :
« 
PUTAIN MAIS TAS RIEN COMPRIS GROSSE MORUE ! ON SEN BAT LES COUILLES TES CONNE ET YA RIEN POUR TE RATTRAPPER. TU COMPRENDS PAS QUON EN PEUT PLUS DES GENS COMME TOI ? QUI SE REPAISSE DANS LEUR INCULTURE ET DE LEUR FOND DE PENSEE TELEVISUELLE ? NOUS VOMISSONS TOUT CE QUE VOUS REVENDIQUEZ DE CULTUREL AU PRIX DUNE BOUILLIE DE BAS ETAGE SERVIE PAR DES VENDEURS DE PUB QUI NESPERENT QUE RAMENER VOS CULS DANS LES RAYONS DES SUPERMARCHES PENDANT LA PAUSE PIPI DE LA SERIE AMERICAINE DU JEUDI SOIR ?
Vous êtes devenus incapable ne serait ce que d'accepter que des gens puissent aimer des choses différentes des vôtres. Juste parce que la télé le dit et que les autres cons qui te servent de potes, sur qui tu ne peux pas compter, aiment ça aussi.
Si la télé et la radio le diffuse, c'est que tout le monde doit aimer ça hein ?
C'est ce que tu penses, c'est ce que vous pensez tous. Après digestion, tout à la même couleur, mais si c'est déjà de la merde à l'entrée, ça ne fait aucune différence pour les gens comme vous. 
»

La bête a parlé.
La bête râle.
Nonalf se laisse tomber sur sa chaise tel le gladiateur qui vient de mener un âpre combat.

Une larme vient de couler le long de ma joue.
Autour de nous, il n'y a plus que le silence. Don Filipo a toujours le doigt fourré dans la bouche de madame la notable.
Don Guido est sorti de sa cuisine pour vérifier l'état du champ de bataille.

J'efface de mon visage les restes de mon émotion. Puis je tends son verre à mon compatriote d'indignation. Il le prend. Le finit. Et le fracasse par terre avant de se lever.

Maude se lève aussi, attrape son sac, et s'en va sans payer.

« Elle était pas si conne que ça finalement... » constate-je.

Nous éclatâmes alors de rire avant de sortir en nous tenant par les épaules...


mercredi 14 mars 2012

Lettre ouverte à A.


Ça fait un moment que je prépare cette lettre ouverte à ton attention, je te laisse constater :
- Après une version 1 définitive que j'ai trouvé honteusement impubliable après une autre lettre ouverte ou il était question de survie et de lapin (mais pas de la survie du lapin, il finira bel et bien en civet).
- Une v2 sans queue (ceci n'est pas sale) ni tête (ceci n'est pas une blague sur les handicapés mentaux).
- Une v3 dont j'ai gardé la structure pour faire autre chose parce que je suis comme ça.

Voici enfin la version définitive que je t'adresse (garantie sans balls dans le potage).

Car vois-tu ma chère, j'ai, encore, pensé à toi. 
En effet, l'autre soir, alors que je relisais « Guerre et paix » avec pour seuls vêtements mes lunettes en titane et mon caleçon Spiderman (le héros qui gicle plus vite que son ombre), je fus perturbé dans ma lecture par un pneumatique de mon ami Nonalf.
Je te le retranscris tel qu'écrit :
« Hey ma grosse pastèque pourrie, ça veut dire quoi « je t'aime » ? Gros poutoux et brosse toi les dents avant d'aller dormir. »

Donc : Je t'aime.
Peu de mots, mais une infinité de possibilités derrière.
Pour beaucoup de mes congénères (en un mot), c'est une réponse.
Une réponse à une demande, ou à un problème, voir à une nécessité physique impérieuse qui supplante tout ce qui existe.

« J'en ai assez qu'on se voit si peu » Je t'aime.
« T'as pensé à dégivrer le frigo ? » Je t'aime.
« Je crois que ça me chatouille dans le bas ventre, derrière les poils... » Je t'aime !

Du futile en passant par le crucial jusqu'à l'érection.
Sur une échelle d'importance des réponses aux questions sur la vie et l'univers, « Je t'aime » doit se trouver directement après 42. (ou 69 je ne sais plus...)

Mais pour moi, c'est une question.
Je t'aime ?

« Ça te dit qu'on dine ensemble ? » Je t'aime ?
« Tu te souviens qu'on va manger chez mes parents dimanche ? » Je t'aime ?
« Est ce que tu vois cette fille dans mon dos ? » Je t'aime ?
« Est ce que tu aimes cette photo de moi ? Celle ou j'ai ma robe blanche à bandes noires, mon rouge à lèvres Dior et ou je mordille mon annulaire ? » Je... t'aime ?

Du futile en passant par le crucial jusqu'à l'érection. (Maudite robe blanche ! Et ne parlons pas de la robe rouge...)
Donc le « Je t'aime » c'est soit le briquet qui allume la bombe, soit le seau d'eau qui éteint l'incendie.
Soit c'est l'escalier vers le paradis, soit l'autoroute vers l'enfer. (vous me réviserez ces deux-là pour le prochain blind test)

Pour conclure, je dirai que le « Je t'aime », c'est une arme à double tranchant.
D'accord ça permet de trancher dans le vif, mais si tu te le prends dans la gueule ça te laisse une balafre.
Et pour revenir sur cette histoire de poils, faites attention à bien pincer le réservoir de votre « je t'aime. »

Alors si un jour tu lis ce texte ma chère A... je nierai même sous la torture.

A...mitiés.
Ta pastèque.

lundi 5 mars 2012

10


10 ans.
Tant que ça ?
J'ai l'impression que ça fait beaucoup. Presque trop.
A l'époque, j'étais pas encore completement un fantome, mais je rasais déjà bien les murs.
Le même moment ou on ne sait pas encore trop ce qu'on veut faire de notre vie.
Est ce que je sais maintenant ? Pas sur...

Je pourrai vous raconter l'histoire de tellement de manières différentes...
La version steampunk me tente assez. Elle, blonde, aventureuse, jupon cachant les plus subtiles inventions mortelles. Nous autres en chasseurs de monstres, haut de forme, monocle, lame d'argent caché dans la canne... Nuits de chasse sans fins, rencontres improbables, soutien mutuel et disparition tragique dans les chutes du niagara...

Ou alors version films noirs. Trenchcoats au porte-manteau dans un bureau de détectives privés cloisonné dans un immeuble miteux à New-York. Jack Daniels sur la table, lucky strike flottant dans les airs brassés par le ventilateur. Oiseaux de nuits désoeuvrés. Elle, toujours blonde, robe pin-up, talons aiguilles qui résonnent sur l'asphalte. Sang et larmes avant de se retrouver jeté dans le port pour finir en cadavre à la dérive...

On peut faire une version "film français" pour nos amis les fans de Louis Garrel. Avec une jeunesse insolente dans un Paris stérile, bravant la vie avec des bons sentiments. Repas en été arrosé à la vodka, dormir les uns sur les autres apres une folle nuit de boisson. S'entredéchirer pour des broutilles et finalement traverser toute cette merde qu'on appelle la vie, les uns sans les autres en se demandant comment on a survécu trois minutes avant le générique de fin.

On en a fait des belles. On en a fait des moches. Mais au final, qu'importe le moment ou le rideau tombe, qu'importe ce qui s'est passé, ce qu'on a dit ou pas dit, fait ou pas fait.
On est tous ensemble. Le reste n'a aucune importance.