Lui
: Pourquoi moi ? Tu ne vas quand même pas me faire le coup de la
figure paternelle...
Moi
: J'ai ce qu'il faut de ce côté là. Tu fais office de figure
littéraire.
Lui
: Je ne sais pas si ça me plait.
Moi
: De toute façon c'est moi qui choisit. Donc on va dire que ça te
plait, et que tu joues le jeu.
Lui
: C'est bien ce qu'il me semblait. Et on fait ça sur une page
blanche ou tu plantes quand même un décor ?
Moi
: Si tu insistes...
Lui
: C'est toi qui insiste.
Moi
: C'est vrai.
Extérieur
nuit. Bateau à roue, voguant sur le Nil. Moi, accoudé le long du
bastingage, cigarette, haut-de-forme et monocle. Lui, allongé sur
une chaise longue, enveloppé dans un grand manteau noir, ses cheveux
blonds lui tombent sur les épaules, il feuillette distraitement un
livre. A moins qu'il ne m'écoute distraitement.
Lui
: Malheureusement, je ne peux que t'écouter.
Moi
: Ça te convient comme décor ?
Lui
: Ou es tu allé chercher ça ?
Moi
: Un jour, tu m'as dis que tu voulais te la péter "Mort sur le
Nil" et que tu avais assouvi ce fantasme lors d'un voyage en
Egypte.
Lui
: Peut être que oui, peut être que non. Tu ne t'en souviens plus.
Moi
: Plus j'avance et moins je me souviens.
Lui
: Sauf de ce qui fait mal.
Moi
: Il n'y a que ce qui fait mal qui laisse des traces pour qu'on s'en
souvienne.
Il
se lève et vient me rejoindre.
Lui
: Tu n'as toujours pas répondu à ma question. Pourquoi moi ?
Moi
: Je t'aime bien. Et ça me fait plaisir de reparler de littérature
avec toi.
Lui
: On a déjà parlé littérature ?
Moi
: Plusieurs fois. On parlait de Frederic Dard.
Lui
: J'aimais ça ?
Moi
: Je crois bien.
Il
regarde l'horizon. Quelques lumières indiquent la présence d'un
village sur une berge proche de la rive.
Lui
: ça t'inspire quelque chose ?
Moi
: Non. Je crois plutôt que ça représente ce que je cherche.
Lui
: Un village perdu sur les bords du Nil ?
Moi
: J'ai peur qu'il n'en reste pas tant que ça. Non en fait j'essaye
d'en faire une métaphore de l'inspiration...
Lui
: hmm...
Moi
: pour écrire...
Lui
: hm..
Moi
: des trucs...
Lui
: h.
Moi
: C'est nul.
Lui
: Oui, certainement. Mais ce qui est bien c'est que tu t'en rends
compte.
Moi
: Ou c'est pathétique.
Il
soupire. Je jette ma cigarette dans le fleuve, tel un touriste de bas
étage.
Lui
: Je crois que je sais ce que tu voulais dire à propos des lumières.
Moi
: Ha ?
Lui
: "There is a light that never goes out"
Moi
: Peut-être.
Lui
: Pas "peut-être". C'est sur. Repense à ce que tu as vécu
ne serait-ce que ces six derniers mois. Tu as gagné beaucoup de
chose.
Moi
: Peut-être.
Lui
: N'essaye pas de chercher le mieux. Contente toi de faire ce que tu
fais.
Je
ne sais pas quoi répondre, ça me semble loin. Comme le village.
Il
retourne s'asseoir sur sa chaise longue. Il s'étire tel un vieux
félin fatigué.
Lui
: Si je peux te donner un dernier conseil, laisse toi porter. Comme
le bateau sur le Nil.
Moi
: Ça marche ?
Lui
: Non, et y'a des écueils, mais tu n'as pas le choix.
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