jeudi 28 mars 2013

Anticipation


"- Hey Paul !
- Frank, qu'est ce qui se passe ? Pourquoi tous ces gens courent partout ?
- Ce soir c'est le discours de la présidente.
- Ho, oui, je vois...
- Tu veux  venir le regarder chez nous ? Samia n'arrête pas de me dire qu'il faut que tu viennes manger à l'appartement.
- Non merci c'est gentil. Je vais attendre Audrey à la sortie de la messe.
- Ha daccord, passe lui le bonjour de ma part."

J'aime bien Frank et Samia. Malgré le torrent de merdes que ces deux se sont pris en pleine gueule, ils restent toujours positifs.
Alors que je me rends vers l'église où ma petite amie assiste à l'office du soir, je ne peux pas m’empêcher de repenser aux changements de ces derniers mois.
Nous sommes déjà en 2018. Cela fait déjà 9 mois que Madame M est au pouvoir.
Cela fait 9 mois que la France est plongé en pleine torpeur.
Je me souviens que le soir des résultats des dernières élections présidentielles, il n'y a eu que le silence.
J'avais laissé la fenêtre de mon appartement ouverte, et j'ai été frappé par le calme qui régnait dehors.
La baffe prise lors des résultats à été sonore, mais c'est le silence dans la rue qui y a fait écho.
Cette fois c'était fait. Le Front était au pouvoir.
15 ans avant, le Front était déjà arrivé au deuxième tour d'une élection présidentielle. Il y'avait eu plusieurs manifestations entre les deux tours, toutes appelant à faire barrage au Front, et au final le président sortant avait été réélu.
Par contre l'an dernier... rien. Le front et le Mouvement était tous les deux au deuxième tour. Il n'y a pas eu de manifestations entre les deux tours. Pas d'appel à barrage, pas de consignes de vote. Au premier tour le Front était déjà bien avancé.
Audrey m'avait dit : "Tu verras, entre la hargne et la haine, les gens choisiront toujours la hargne, car elle ne dure jamais. Le Mouvement passera et tout le monde oubliera vite ce vilain résultat."
Les voix avaient commencé à diminuer, et le soir du deuxième tour, plus personne ne parlait.

Très vite, les conséquences sont arrivées. Bon nombre de lois ont été prises ou détricotés. "Liberté, Egalité, Fraternité" s'est transformé en "Travail, Famille, Patrie."
Sauf que le Travail n'est jamais arrivé. Comme il n'y en avait plus depuis 30 ans, les gens n'ont pas manifesté parcequ'ils ont du se dure que ce n'était surement plus la peine.
La Famille ? La loi autorisant le mariage homosexuel, qui avait été instauré sous l'ère du président précédent, avait été promptement dissoute. C'est en partie à cause de ça que Franck s'est fait plaquer par son compagnon. "On ne nous laisse plus la liberté de vivre ensemble ? Alors je me casse".
La patrie ? La famille de Samia, originaire du Maroc, ne pouvait plus venir librement dans la "patrie" que leur fille avait choisie.
Heureusement, Franck et son amie Samia se sont serrés les coudes, et depuis quelques mois ils s'entraident en attendant que la roue tourne.

Je m’assois contre le mur en pierre de l'église. Je ne fume pas, mais je me serai bien roulé une cigarette, histoire d'évacuer.
Je me demande comment on en est arrivé là.
Je me souviens de 2013. A peu près à la même période, le président était au plus bas dans les sondages, et après seulement quelques mois, on lui reprochait qu'il pleuve dehors.
C'était au moment des manifestions contre le mariage pour tous. Des gens voulaient empêcher une loi allant à l'encontre de l'égalité. Avec soi disant des millions de personnes dans la rue.
Vu que c'était déjà joué d'avance, ces "millions" auraient mieux fait de manifester contre les banksters, ça aurait peut être été plus productif...
Tout le monde ne parlait que de ça, mais je me souviens que le weekend pendant l'une de ces manifestations, il y'a eu une élection législative anticipée, ou une candidate du Front était arrivée au deuxième tour. Seulement quelques mois avant, le front avait battu son record de députés à l'Assemblée Nationale.
Et personne n'a manifesté contre ça.
Je me souviens avoir pensé que c'était dingue, que normalement on manifeste pour plus d'égalité, pas pour empêcher les gens d'en avoir.
Bon, je reconnais que j'étais encore naïf à l'époque.
Puis il y'a eu 2014. Des municipales. Et là c'est plus d'une dizaine de milliers de maires du Front qui sont sortis des urnes.
Toujours pas de manifestations...

J'imagine qu'au final nous avons eu ce que nous avons voulu. La haine. La méfiance. La morosité. Notre vigilance a décrue et avant que nous ne nous en rendions compte, nous n'en avions plus.

A peine les cloches de l'église ont-elles retenties, que les premiers fidèles sortent. Ils rentrent chez eux précipitamment, sûrement en espérant que dans son discours la présidente n'annoncera pas de nouvelles lois liberticides.
Audrey sort parmi les derniers. Elle porte sa longue robe blanche et un châle de même couleur pour se mettre à l'abri de la brise fraiche du soir.
Je lui tends mon bras, elle le prend, puis dépose un baiser sur ma joue.

"- Tout s'est bien passé ? Qu'a raconté le père Steve aujourd'hui ?
- Pas grand chose comme d'habitude. Il nous a surtout invité à prier.
- Je vois. Et donc tu as prié pour que les prochaines présidentielle arrivent plus vite ?
- Non. J'ai prié pour nous."