L'autre soir, je t'ai vu en train de
pleurer.
Ça nous arrive à tous tu sais.
Moi ? Je n'ai pas pleuré depuis la
pub pour le nesquik premier âge.
Ce putain de lapin qui fait coucou
à un bébé. Coucou je suis ton ami. Coucou je serai toujours là
alors que je ne suis qu'un lapin dessiné sur la boite d'un produit
dont les créateurs espèrent que ta mère achètera tous leurs trucs
pour le restant de ses jours et des tiens.
J'ai haï ce lapin. Parcequ'il sera
toujours sur sa putain de boite lorsque toi et moi on sera mort.
Je pense qu'on doit autant haïr ce
lapin.
C'est ce que je voulais te dire l'autre
soir.
Non pas à propos du lapin. T'auras
qu'a venir manger à la maison et on l'exorcisera en se faisant un
civet. Avec des pommes de terre au four.
Si j'avais pu, je t'aurai pris la
tête dans mes mains et je t'aurai regardé au fond des yeux.
Et je t'aurais dit tout ça :
Regarde toi.
T'es un des mecs les plus intelligents
que je connaisse.
Et c'est dur d'être intelligent dans
un monde qui ne veut pas de l'intelligence.
Moi ? Je ne suis pas intelligent.
Je pense. Mais ça ne fait pas de moi
quelqu'un d'intelligent.
Je pense à toi parfois. Mais ne
t'emballe pas, je ne suis pas un garçon facile.
Je pense à toi, mais comme je pense à
elle. Ou à elles. Ou à eux. Ou au monde.
Le monde hein...
S'en sentir extérieur. Dieu sait qu'on
a donné l'illusion d'en faire partie. Et qu'on continue parfois.
Avoir un travail. Des relations
sociales. Côtoyer des gens.
Les gens.
La masse.
Ceux qui ne veulent pas de nous.
Ceux qui disent que nous ne sommes
rien.
Que nous sommes des parasites.
Des anormaux.
Que nous n'avons aucune place.
Que nous n'avons pas les mêmes droits
qu'eux.
Tu vois de quoi je parle ?
Nous avons le droit d'être leur idiot
du village, donc pas le droit d'être respecté.
Nous avons le droit d'être leur
poivrot du bar, donc pas le droit d'être visible.
Nous avons le droit de rester seul,
donc pas celui de partager notre vie avec quelqu'un.
Nous avons le droit d'être humilié,
donc pas celui d'être écouté.
Ils pensent que ça nous tue. Ils
pensent qu'ils se débarrasseront de nous comme ça.
Mais ils se trompent.
Ils sont engoncés dans leur confort.
Dans leur relations sociales. Dans leurs familles. Dans leurs
couples. Dans leurs métiers. Ils croient que ça les protège. De la
solitude. De la tristesse. Du désespoir. Ils ne savent pas ce que
nous savons.
Qu'on est en réalité plus fort
qu'eux.
Alors tu vas me dire « Arrête
tes conneries, si on le sait tous les deux, pourquoi est ce que nous
ne le supportons pas mieux après tout ce temps ? »
Parce que le malheur est toujours
différent. On ne perd jamais deux fois le même boulot. Jamais deux
fois le même membre de sa famille. Jamais deux fois la même fille.
Bon ok, le dernier cas de figure peut arriver, mais bref passons.
Bon ok, le dernier cas de figure peut arriver, mais bref passons.
Tu veux que j'abrège ? Ça commence à
faire long je sais.
T'en fera ce que tu voudras. Tu auras
le droit de me dire merci comme de te taire. Tu auras le droit de me
prendre dans tes bras comme de me haïr. Tu commences, peut être, à
me connaître, je ne suis pas donneur de leçons. Même quand le
pouvoir a été contre nous.
Voilà mon message pour toi. Et pour
les deux-trois masos qui nous lirons un soir d'hiver.
« On n'est pas plus fort
parcequ'on est malheureux.
On est plus fort parcequ'on survit au
malheur. »
Regarde autour de toi. Regarde tes
amis. Ceux qui t'aiment. Qui te font confiance. Malgré le passé et
quoi qu'il advienne dans le futur.
Ils sont comme nous au final. Ils sont
toujours vivant.
Et aujourd'hui ils ont des familles,
des maris ou des épouses voir des enfants.
Est ce qu'on aura la même chose un
jour ?
Mec, y'a qu'un moyen de connaître la
réponse. C'est de continuer à survivre.
Sans avoir peur.
Il ne faut pas avoir peur du vide.
Il ne faut pas avoir peur de
l'altitude.
On est pas meilleur parcequ'on est au
plus bas.
Mais être au plus haut ne nous rendra
pas pire.
Voilà.
Je crois que c'est tout ce que j'avais
à te dire.
Bon jusqu'à la prochaine crise et ou
je redirai à peu près la même chose, mais en changeant l'ordre des
mots.
Mais je crois que je peux te lâcher la
tête. Ça commence a devenir trop bizarre cette posture.
D'ici là prends soin de toi. Enfin pas
trop quand même, j'ai pas envie que tu t'ennuies.
Amitiés,
Ta pastèque.
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